Partis depuis 3 jours de Lourdes avec ma sœur Delphine, nous faisons étape en ce 4 mai au presbytère d'Arudy, un village béarnais, non loin d'Oloron Ste Marie.
2 pèlerins sont déjà arrivés et ont pris place dans la chambre commune des hommes au rez-de-chaussée. Je m'installe moi aussi. Delphine est logée au deuxième étage, dans la chambre des filles où elle sera seule ce soir.
Après la douche et la petite lessive quotidienne, je retrouve les pèlerins, les hospitaliers et ma sœur dans la salle à manger où certains prennent leur déjeuner, d'autres boivent un café, et nous, derniers arrivés nous installons autour de la table et faisons connaissance.
Rapidement, le Père Armand fait irruption, béret vissé sur la tête, nous salue chacun personnellement avec un regard emprunt de douceur et de bienveillance qui me touche. Nous sommes dimanche midi, il revient de dire ses 2 messes, ne prend pas le temps de s'assoir ou de manger et commence à nous servir qui un café, qui de la pastèque tranchée, qui un morceau de gâteau qu'il vient de sortir du frigo. Je lui propose de prendre place avec nous pour déjeuner ; il me regarde avec un grand sourire et continue le service de ses hôtes du jour. Rien ne semble plus important que le service de ses hôtes. Il file en cuisine, fait un brin de vaisselle, revient avec du miel pour mettre dans la tisane d'un convive puis, comme si le temps s'arrêtait, s'immobilise devant moi, et me demande : "Ludovic, accepteriez vous, en guise de bienvenue, que je vous lave les pieds ?" Je comprends en un éclair sa question, je revois en un instant l'Office du jeudi saint et je fonds en larmes tellement sa demande est emprunte des mots du Christ dans les Évangiles. Je pleure, je sanglote, je suis incapable d'émettre le moindre son. Je fais "Oui" de la tête et voilà le Père Armand à genoux devant moi, disposant une bassine pour mes pieds, une cruche d'eau tiède lui est apportée par quelqu'un qui connait ce cérémonial. Je pleure, Delphine dernière moi pleure aussi, les autres personnes autour de la table regardent ce geste christique avec profondeur. Le P. Armand verse de l'eau sur mon pied droit avec une infinie douceur, dit à voix haute le Notre Père, puis prie de l'abondance du cœur pour mes parents, ma fille Marie Noël, mes collègues de travail, précise que bien avant ma conception, j'étais déjà aimé du Père... L'émotion est trop forte... Nous ne sommes plus dans le symbole mais c'est bien le Christ qui me lave les pieds, qui est à la place du serviteur, lui, le fils du Père... Puis, le P. Armand m'essuie les pieds toujours avec des gestes et une voix d'une infinie douceur. Avant de me libérer le pied, il y trace une croix et m'y fait 3 baisers tendres ; il réitère ce geste sur l'autre pied. Je suis sans voix. Le Christ s'est manifesté. Que dire d'autre ? La petite assemblée est recueillie, emprunte de profondeur, de respect. On dirait l'adoration des bergers à la crèche. Le Christ est là.
Enfin, le P. Armand me rechausse et me dit avec un accent béarnais et un regard profond : "Ludovic, vous êtes le bienvenu".
Ce sera ensuite le tour de Delphine qui ne sera pas moins "touchée" que moi.
Je comprendrai par la suite que le P. Armand accueille chaque pèlerin de passage avec ce même rituel. C'est beau. C'est évangélique.
Ludovic Baudin